Et, à cette heure même, Napoléon III était dans la pauvre maison du tisserand, sur la route de Donchery. Dès cinq heures du matin, il avait voulu quitter la sous-préfecture, mal à l’aise de sentir Sedan autour de lui, comme un remords et une menace, toujours tourmenté du reste par le besoin d’apaiser un peu son cœur sensible, en obtenant pour sa malheureuse armée des conditions meilleures. Il désirait voir le roi de Prusse. Il était monté dans une calèche de louage, il avait suivi la grande route large, bordée de hauts peupliers, cette première étape de l’exil, faite sous le petit froid de l’aube, avec la sensation de toute la grandeur déchue qu’il laissait, dans sa fuite ; et c’était, sur cette route, qu’il venait de rencontrer Bismarck, accouru à la hâte, en vieille casquette, en grosses bottes graissées, uniquement désireux de l’amuser, de l’empêcher de voir le roi, tant que la capitulation ne serait pas signée. Le roi était encore à Vendresse, à quatorze kilomètres. Où aller ? sous quel toit attendre ? Là-bas, perdu dans une nuée d’orage, le palais des Tuileries avait disparu. Sedan semblait s’être reculé déjà à des lieues, comme barré par un fleuve de sang. Il n’y avait plus de châteaux impériaux, en France, plus de demeures officielles, plus même de coin chez le moindre des fonctionnaires, où il osât s’asseoir. Et c’était dans la maison du tisserand qu’il voulut échouer, la misérable maison aperçue au bord du chemin, avec son étroit potager enclos d’une haie, sa façade d’un étage, aux petites fenêtres mornes. En haut, la chambre, simplement blanchie à la chaux, était carrelée, n’avait d’autresmeubles qu’une table de bois blanc et deux chaises de paille. Il y patienta pendant des heures, d’abord en compagnie de Bismarck qui souriait à l’entendre parler de générosité, seul ensuite, traînant sa misère, collant sa face terreuse aux vitres, regardant encore ce sol de France, cette Meuse qui coulait si belle, au travers des vastes champs fertiles.