La Débâcle – 2239

Silvine, de nouveau, le fit taire. Elle frissonna. Dans une remise épargnée par le feu, un chien, enfermé, oublié depuis deux jours, hurlait d’une plainte continue, si lamentable, qu’une terreur traversa le ciel bas, d’où unepetite pluie grise venait de se mettre à tomber. Et ce fut à ce moment, devant le parc de Montivilliers, qu’ils firent une rencontre. Trois grands tombereaux étaient là, à la file, chargés de morts, de ces tombereaux de la salubrité, que l’on emplit à la pelle, le long des rues, chaque matin, de la desserte de la veille ; et, de même, on venait de les emplir de cadavres, les arrêtant à chaque corps que l’on y jetait, repartant avec le gros bruit des roues pour s’arrêter plus loin, parcourant Bazeilles entier, jusqu’à ce que le tas débordât. Ils attendaient, immobiles sur la route, qu’on les conduisît à la décharge publique, au charnier voisin. Des pieds sortaient, dressés en l’air. Une tête retombait, à demi arrachée. Lorsque les trois tombereaux, de nouveau, s’ébranlèrent, cahotant dans les flaques, une main livide qui pendait, très longue, vint frotter contre une roue ; et la main peu à peu s’usait, écorchée, mangée jusqu’à l’os.