Ensuite, ils tournèrent à gauche, pour gagner le plateau d’Illy, par la route qui traverse le bois de la Garenne. Mais, là encore, ils furent attardés, ils crurent vingt fois qu’ils ne pourraient franchir le bois, tellement les obstacles se multipliaient. A chaque pas, des arbres coupés par les obus, abattus tels que des géants, barraient la route. C’était la forêt bombardée, au travers de laquelle la canonnade avait tranché des existences séculaires, comme au travers d’un carré de la vieille garde, d’une solidité immobile de vétérans. De toutes parts, des troncs gisaient, dénudés, troués, fendus, ainsi que des poitrines ; et cette destruction, ce massacre de branches pleurant leur sève, avait l’épouvante navrée d’un champ de bataille humain. Puis, c’étaient aussi des cadavres, des soldats tombés fraternellement avec les arbres. Un lieutenant, la bouche sanglante, avait encore les deux mains enfoncées dans la terre, arrachant des poignées d’herbe. Plus loin, un capitaine était mort sur le ventre, la tête soulevée, en train de hurler sa douleur. D’autres semblaient dormir parmi les broussailles, tandis qu’un zouave dont laceinture bleue s’était enflammée, avait la barbe et les cheveux grillés complètement. Et il fallut, à plusieurs reprises, le long de cet étroit chemin forestier, écarter un corps, pour que l’âne pût continuer sa route.