La Débâcle – 2307

Silvine et Prosper, qui avaient pris par la Grande-Rue, ne purent avancer qu’à petits pas, au milieu de cette boue fétide. Puis, toute une agitation emplissait la ville, leur barrait le chemin à chaque minute. C’était le moment où les Prussiens fouillaient les maisons, pour en faire sortir les soldats cachés, qui s’obstinaient à ne pas se rendre. La veille, lorsque, vers deux heures, le général de Wimpffen était revenu du château de Bellevue, après y avoir signé la capitulation, le bruit avait circulé tout de suite que l’armée prisonnière allait être enfermée dans la presqu’île d’Iges, en attendant qu’on organisât des convois pour la conduire en Allemagne. Quelques rares officierscomptaient profiter de la clause qui les faisait libres, à la condition de s’engager par écrit à ne plus servir. Seul, un général, disait-on, le général Bourgain-Desfeuilles, prétextant ses rhumatismes, venait de prendre cet engagement ; et, le matin même, des huées avaient salué son départ, quand il était monté en voiture, devant l’hôtel de la Croix d’Or. Depuis le petit jour, le désarmement s’opérait, les soldats devaient défiler sur la place Turenne, pour jeter chacun ses armes, les fusils, les baïonnettes, au tas qui grandissait, pareil à un écroulement de ferraille, dans un angle de la place. Il y avait là un détachement prussien, commandé par un jeune officier, un grand garçon pâle, en tunique bleu ciel, coiffé d’une toque à plume de coq, qui surveillait ce désarmement, d’un air de correction hautaine, les mains gantées de blanc. Un zouave ayant, d’un mouvement de révolte, refusé son chassepot, l’officier l’avait fait emmener, en disant, sans le moindre accent : ” Qu’on me fusille cet homme-là ! ” Les autres, mornes, continuaient à défiler jetaient leurs fusils d’un geste mécanique, dans leur hâte d’en finir. Mais combien, déjà, étaient désarmés, ceux dont les chassepots traînaient là-bas, par la campagne ! Et combien, depuis la veille, se cachaient, faisaient le rêve de disparaître, au milieu de l’inexprimable confusion ! Les maisons, envahies, en restaient pleines, de ces entêtés qui ne répondaient pas, qui se terraient dans les coins. Les patrouilles allemandes, fouillant la ville, en trouvaient de blottis jusque sous des meubles. Et, comme beaucoup, même découverts, s’obstinaient à ne pas sortir des caves, elles s’étaient décidées à tirer des coups de feu par les soupiraux. C’était une chasse à l’homme, toute une battue abominable.