La Débâcle – 2318

Alors, dans le brusque désespoir qui le saisissait, il aperçut, en face, de l’autre côté de la Meuse, les champs maudits où il s’était battu l’avant-veille. C’était, sous le jour finissant de cette journée de pluie, une évocation livide, le morne déroulement d’un horizon noyé de boue.Le défilé de Saint-Albert, l’étroit chemin par lequel les Prussiens étaient venus, filait le long de la boucle, jusqu’à un éboulis blanchâtre de carrières. Au-delà de la montée du Seugnon, moutonnaient les cimes du bois de la Falizette. Mais, droit devant lui, un peu sur la gauche, c’était surtout Saint-Menges, dont le chemin descendant aboutissait au bac ; c’était le mamelon du Hattoy au milieu, Illy très loin, au fond, Fleigneux enfoncé derrière un pli de terrain, Floing plus rapproché, à droite. Il reconnaissait le champ dans lequel il avait attendu des heures, couché parmi les choux, le plateau que l’artillerie de réserve avait essayé de défendre, la crête où il avait vu Honoré mourir sur sa pièce fracassée. Et l’abomination du désastre renaissait, l’abreuvait de souffrance et de dégoût, jusqu’au vomissement.