La Débâcle – 2397

Pourtant, ce jour-là, Jean et Maurice crurent qu’ils mangeraient. Depuis le matin, tout un commerce s’était établi entre les prisonniers et les Bavarois, par-dessus le canal : on leur jetait de l’argent dans un mouchoir, et ils renvoyaient le mouchoir avec du gros pain bis ou du tabac grossier, à peine sec. Même des soldats quin’avaient pas d’argent étaient arrivés à faire des affaires, en leur lançant des gants blancs d’ordonnance, dont ils semblaient friands. Pendant deux heures, le long du canal, ce moyen barbare d’échange fit voler les paquets. Mais, Maurice ayant envoyé une pièce de cent sous dans sa cravate, le Bavarois qui lui renvoyait un pain le jeta de telle sorte, soit maladresse, soit farce méchante, que le pain tomba à l’eau. Alors, parmi les Allemands, ce furent des rires énormes. Deux fois, Maurice s’entêta, et deux fois le pain fit un plongeon. Puis, attirés par les rires, des officiers accoururent, qui défendirent à leurs hommes de rien vendre aux prisonniers, sous peine de punitions sévères. Le commerce cessa, Jean dut calmer Maurice qui montrait les deux poings à ces voleurs, en leur criant de lui renvoyer ses pièces de cent sous.