La Débâcle – 240

A cette minute, Maurice sentit un chaud rayon de soleil lui couler jusqu’au cœur. Il restait troublé, humilié. Quoi ? cet homme n’était donc pas qu’un rustre ? Et il se rappelait l’affreuse haine dont il avait brûlé, en ramassant son fusil, jeté dans une minute d’inconscience. Mais il se rappelait aussi son saisissement, à la vue des deux grosses larmes du caporal, lorsque la vieille grand-mère, ses cheveux gris au vent, les insultait, en montrant le Rhin, là-bas, derrière l’horizon. Etait-ce la fraternité des mêmes fatigues et des mêmes douleurs, subies ensemble, qui emportait ainsi sa rancune ? Lui, de famille bonapartiste, n’avait jamais rêvé la République qu’à l’état théorique ; et il se sentait plutôt tendre pour la personne de l’empereur, il était pour la guerre, la vie même des peuples. Tout d’un coup, l’espoir lui revenait, dans une de ces sautes d’imagination qui lui étaient familières ; tandis que l’enthousiasme qui l’avait, un soir, poussé à s’engager, battait de nouveau en lui, gonflant son cœur d’une certitude de victoire.