La Débâcle – 2470

Maurice et Jean mangèrent la moitié de leur pain, qu’ils eurent la chance d’arroser de quelques gorgées d’eau-de-vie, un brave fermier étant parvenu à emplir leur gourde. Mais, ce qui fut terrible ensuite, ce fut de se remettre en route. On devait coucher à Monzon, et bien que l’étape se trouvât courte, l’effort à faire paraissait excessif. Les hommes ne purent se relever sans crier, tellement leurs membres las se raidissaient au moindre repos. Beaucoup, dont les pieds saignaient, se déchaussèrent, pour continuer la marche. La dysenterie les ravageait toujours, il en tomba un, dès le premier kilomètre, qu’on dut pousser contre un talus. Deux autres, plus loin, s’affaissèrent au pied d’une haie, où une vieille femme ne les ramassa que le soir. Tous chancelaient, en s’appuyant sur des cannes, que les Prussiens, par dérision peut-être, leur avaient permis de couper, à la lisière d’un petit bois. Ce n’était plus qu’une débandade de gueux, couverts de plaies, hâves et sans souffle. Et les violences se renouvelaient, ceux qui s’écartaient, même pour quelque besoin naturel, étaient ramenés à coups de bâton.A la queue, le peloton formant l’escorte avait l’ordre de pousser les traînards, la baïonnette dans les reins. Un sergent ayant refusé d’aller plus loin, le capitaine commanda à deux hommes de le prendre sous les bras, de le traîner, jusqu’à ce que le misérable consentit à marcher de nouveau. Et c’était surtout le supplice, cette figure à gifles, ce petit officier chauve, qui abusait de ce qu’il parlait très correctement le français, pour injurier les prisonniers dans leur langue, en phrases sèches et cinglantes comme des coups de cravache.