Et l’intimité de Jean et d’Henriette, alors, se trouva réglée. Des habitudes leur vinrent, il leur semblait qu’ils n’avaient jamais vécu autrement, qu’ils devaient toujours vivre ainsi. Elle passait avec lui toutes les heures qu’elle ne donnait pas à l’ambulance, veillait à ce qu’il bût, à cequ’il mangeât régulièrement, l’aidait à se retourner, d’une force de poignet qu’on n’aurait pas soupçonnée dans ses bras minces. Parfois ils causaient ensemble, le plus souvent ils ne disaient rien, surtout dans les commencements. Mais jamais ils n’avaient l’air de s’ennuyer, c’était une vie très douce, au fond de ce grand repos, lui tout massacré encore de la bataille, elle en robe de deuil, le cœur broyé par la perte qu’elle venait de faire. D’abord, il avait éprouvé quelque gêne, car il sentait bien qu’elle était au-dessus de lui, presque une dame, tandis qu’il n’avait jamais été qu’un paysan et qu’un soldat. A peine savait-il lire et écrire. Puis, il s’était rassuré un peu, en voyant qu’elle le traitait sans fierté, comme son égal, ce qui l’avait enhardi à se montrer ce qu’il était, intelligent à sa manière, à force de tranquille raison. D’ailleurs, lui-même s’étonnait d’avoir la sensation de s’être aminci, allégé, avec des idées nouvelles : était-ce l’abominable vie qu’il menait depuis deux mois ? il sortait affiné de tant de souffrances physiques et morales. Mais ce qui acheva de le conquérir, ce fut de comprendre qu’elle n’en savait pas beaucoup plus que lui. Toute jeune, après la mort de sa mère, devenue la cendrillon, la petite ménagère ayant la charge de ses trois hommes, comme elle disait, son grand-père, son père et son frère, elle n’avait pas eu le temps d’apprendre. La lecture, l’écriture, un peu d’orthographe et de calcul, il ne fallait point lui en demander davantage. Et elle ne l’intimidait encore, elle ne lui apparaissait bien au-dessus de toutes les autres, que parce qu’il la savait d’une bonté supérieure, d’un courage extraordinaire, sous son apparence de petite femme effacée qui se plaisait aux menus soins de la vie.