La Débâcle – 2587

Le matin, lorsque le docteur Dalichamp avait pansé le blessé, il aimait à s’oublier là, pendant quelques minutes. Même il revenait parfois le soir, s’attardait davantage ; et il était ainsi le seul lien avec le monde, ce vaste monde du dehors, si bouleversé de catastrophes. Les nouvelles n’entraient que par lui, il avait un cœur ardent de patriote qui débordait de colère et de chagrin, à chaque défaite. Aussi ne parlait-il guère que de la marcheenvahissante des Prussiens, dont le flot, depuis Sedan, s’étendait peu à peu sur toute la France, comme une marée noire. Chaque jour apportait son deuil, et il restait accablé sur l’une des deux chaises, contre le lit, il disait la situation de plus en plus grave, avec des gestes tremblants. Souvent il avait les poches bourrées de journaux belges, qu’il laissait. A des semaines de distance, l’écho de chaque désastre arrivait ainsi au fond de cette chambre perdue, rapprochant encore, dans une commune angoisse, les deux pauvres êtres souffrants qui s’y trouvaient renfermés.