La Débâcle – 2660

Henriette, elle, n’en était pas même effleurée. Au lendemain du drame atroce de Bazeilles, son cœur restait meurtri ; et, s’il y entrait un soulagement, une tendresse nouvelle, ce ne pouvait être qu’à son insu : tout un de ces sourds cheminements de la graine qui germe, sans que rien, au regard, révèle le travail caché. Elle ignorait jusqu’au plaisir quelle avait fini par prendre à rester des heures près du lit de Jean, à lui lire ces journaux, qui ne leur apportaient pourtant que du chagrin. Jamais sa main, en rencontrant la sienne, n’avait eu même une tiédeur ; jamais l’idée du lendemain ne l’avait laissée rêveuse, avec le souhait d’être aimée encore. Pourtant, elle n’oubliait, elle n’était consolée que dans cette chambre. Quand elle se trouvait là, s’occupant avec sa douceur active, son cœur se calmait, il lui semblait que son frère reviendrait prochainement, que tout s’arrangerait très bien, qu’on finirait par être tous heureux, en ne se quittant plus. Et elle en parlait sans trouble, tellement il lui paraissait naturel que les choses fussent ainsi, sans qu’il lui vînt à la pensée de s’interroger davantage, dans le don chaste et ignoré de tout son cœur.