La Débâcle – 2797

Il partit tranquillement, elle resta plantée à la même place, la tête bourdonnante d’idées si grosses, si terribles, qu’elle en était comme imbécile. Et, pendant la journée entière, ce fut ainsi une tempête en elle. D’abord, elle eut l’instinctive pensée d’emporter son enfant dans ses bras, de s’en aller droit devant elle, n’importe où ; seulement, que devenir dès que la nuit tomberait, comment gagner sa vie pour lui et pour elle ? sans compter que les Prussiens qui battaient les routes l’arrêteraient, la ramèneraient peut-être. Puis, le projet lui vint de parler à Jean, d’avertir Prosper et le père Fouchard lui-même ; et, de nouveau, elle hésita, elle recula : était-elle assez sûre de l’amitié des gens, pour avoir la certitude qu’on ne la sacrifierait pas à la tranquillité de tous ? Non, non ! elle ne dirait rien à personne, elle seule se tirerait du danger, puisque seule elle l’avait fait, par l’entêtement de son refus. Mais qu’imaginer, mon Dieu ! de quelle façon empêcher le malheur ? car son honnêteté se révoltait, elle ne se seraitpardonné de la vie, si, par sa faute, il était arrivé des catastrophes à tant de monde, à Jean surtout, qui se montrait si gentil pour Charlot.