La Débâcle – 2873

Pendant ce temps, au très grand jour, lui, et dans son besoin de vivre, Delaherche s’agitait, tâchait de rouvrir safabrique. Il n’avait pu encore que remettre en marche quelques métiers, au milieu du désarroi des ouvriers et des clients. Alors, afin d’occuper ses tristes loisirs, il lui était venu une idée, celle de dresser un inventaire total de sa maison et d’y étudier certains perfectionnements, depuis longtemps rêvés. Justement, il avait sous la main, pour l’aider dans ce travail, un jeune homme, échoué chez lui à la suite de la bataille, le fils d’un de ses clients. Edmond Lagarde, grandi à Passy, dans la petite boutique de nouveautés de son père, sergent au 5e de ligne, à peine âgé de vingt-trois ans, et n’en paraissant guère que dix-huit, avait fait le coup de feu en héros, avec un tel acharnement, qu’il était rentré, le bras gauche cassé par une des dernières balles, vers cinq heures, à la porte du Ménil ; et Delaherche, depuis qu’on avait évacué les blessés de ses hangars, le gardait, par bonhomie. C’était de la sorte qu’Edmond faisait partie de la famille, mangeant, couchant, vivant là, guéri à cette heure, servant de secrétaire au fabricant de drap, en attendant de pouvoir rentrer à Paris. Grâce à la protection de ce dernier et sur sa formelle promesse de ne pas fuir, les autorités prussiennes le laissaient tranquille. Il était blond, avec des yeux bleus, joli comme une femme, d’ailleurs d’une timidité si délicate, qu’il rougissait au moindre mot. Sa mère l’avait élevé, s’était saignée, mettant à payer ses années de collège les bénéfices de leur étroit commerce. Et il adorait Paris, et il le regrettait passionnément devant Gilberte, ce Chérubin blessé, que la jeune femme avait soigné en camarade.