Puis, comme on servait encore une terrine de foies gras, achetée en Belgique, la conversation tourna, s’arrêta un instant au poisson de la Meuse qui mourait empoisonné, finit par tomber sur le danger de peste qui menaçait Sedan, au prochain dégel. En novembre, des cas d’épidémie s’étaient déjà déclarés. On avait eu beau, après la bataille, dépenser six mille francs pour balayer la ville, brûler en tas les sacs, les gibernes, tous les débris louches : les campagnes environnantes n’en soufflaient pas moins des odeurs nauséabondes, à la moindre humidité, tellement elles étaient gorgées de cadavres, à peine enfouis, mal recouverts de quelques centimètres de terre. Partout, des tombes bossuaient les champs, le sol se fendait sous la poussée intérieure, la putréfaction suintait et s’exhalait. Et l’on venait, les jours précédents, de découvrir un autre foyer d’infection, la Meuse, d’où l’on avait pourtant retiré déjà plus de douze cents corps de chevaux. L’opinion générale était qu’il n’y restait plus un cadavre humain, lorqu’un garde champêtre, en regardant avec attention, à plus de deux mètres de profondeur, avait aperçu sous l’eau des blancheurs, qu’on aurait pris pour des pierres : c’étaient des lits de cadavres, des corpséventrés que le ballonnement, rendu impossible, n’avait pu ramener à la surface. Depuis près de quatre mois, ils séjournaient là, dans cette eau, parmi les herbes. Les coups de croc ramenaient des bras, des jambes, des têtes. Rien que la force du courant détachait et emportait parfois une main. L’eau se troublait, de grosses bulles de gaz montaient, crevaient à la surface, empestant l’air d’une odeur infecte.