Ah ! les mornes et tristes journées, après l’avortement de cet immense effort ! La grande sortie, préparée depuis si longtemps, la poussée irrésistible qui devait délivrer Paris, venait d’échouer ; et, trois jours plus tard, une lettre du général de Moltke annonçait que l’armée de la Loire, battue, avait de nouveau abandonné Orléans. C’était le cercle qui se resserrait plus étroit, impossible désormais à rompre. Mais Paris, dans sa fièvre de désespoir, semblait trouver des forces nouvelles de résistance. Les menaces de famine commençaient. Dès le milieu d’octobre, on avait rationné la viande. En décembre, il ne restait pas une bête des grands troupeaux de bœufs et de moutons lâchés au travers du bois de Boulogne, dans la poussière de leur piétinement continu, et l’on s’était mis à abattre les chevaux. Les provisions, plus tard les réquisitions de farine et de blé devaient donner quatre mois de pain. Quand les farines s’étaient épuisées, il avait falluconstruire des moulins dans les gares. Le combustible aussi manquait, on le réservait pour moudre les grains, cuire le pain, fabriquer les armes. Et Paris, sans gaz, éclairé par de rares lampes à pétrole, Paris grelottant sous son manteau de glace, Paris à qui on rationnait son pain noir et sa viande de cheval, espérait quand même, parlait de Faidherbe au Nord, de Chanzy sur la Loire, de Bourbaki dans l’Est, comme si quelque prodige allait les amener victorieux sous les murs. Devant les boulangeries et les boucheries, les longues queues qui attendaient, dans la neige, s’égayaient encore parfois, à la nouvelle de grandes victoires imaginaires. Après l’abattement de chaque défaite, l’illusion tenace renaissait, flambait plus haute, parmi cette foule hallucinée de souffrance et de faim. Sur la place du Château-d’Eau, un soldat ayant parlé de se rendre, les passants avaient failli le massacrer. Tandis que l’armée, à bout de courage et sentant venir la fin, demandait la paix, la population réclamait encore la sortie en masse, la sortie torrentielle, le peuple entier, les femmes, les enfants eux-mêmes, se ruant sur les Prussiens, en un fleuve débordé qui renverse et emporte tout.