La Débâcle – 2986

Tout d’un coup, le 29 janvier, Paris sut que, depuis l’avant-veille, Jules Favre traitait avec monsieur de Bismarck, pour obtenir un armistice ; et, en même temps, il apprenait qu’il n’y avait plus que dix jours de pain, à peine le temps de ravitailler la ville. C’était la capitulation brutale qui s’imposait. Paris, morne, dans la stupeur de la vérité qu’on lui disait enfin, laissa faire. Ce même jour, à minuit, le dernier coup de canon fut tiré. Puis, le 29, lorsque les Allemands eurent occupé les forts, Maurice revint camper, avec le 115e, du côté de Montrouge, en dedans des fortifications. Et alors commença pour lui une existence vague, pleine de paresse et de fièvre. La discipline s’était fort relâchée, les soldats se débandaient, attendaient en flânant d’être renvoyés chez eux. Mais lui restait éperdu, d’une nervosité ombrageuse, d’une inquiétude qui se tournait en exaspération, au moindre heurt. Il lisait avidement les journaux révolutionnaires, et cet armistice de trois semaines, uniquement conclu pour permettre à la France de nommer une Assemblée quidéciderait de la paix, lui semblait un piège, une trahison dernière. Même si Paris se trouvait forcé de capituler, il était, avec Gambetta, pour la continuation de la guerre sur la Loire et dans le Nord. Le désastre de l’armée de l’Est, oubliée, forcée de passer en Suisse, l’enragea. Ensuite, ce furent les élections qui achevèrent de l’affoler : c’était bien ce qu’il avait prévu, la province poltronne, irritée de la résistance de Paris, voulant la paix quand même, ramenant la monarchie, sous les canons encore braqués des Prussiens. Après les premières séances de Bordeaux, Thiers, élu dans vingt-six départements, acclamé chef du pouvoir exécutif, devint à ses yeux le monstre, l’homme de tous les mensonges et de tous les crimes. Et il ne décoléra plus, cette paix conclue par une Assemblée monarchique lui paraissait le comble de la honte, il délirait à la seule idée des dures conditions, l’indemnité des cinq milliards, Metz livré, l’Alsace abandonnée, l’or et le sang de la France coulant par cette plaie, ouverte à son flanc, inguérissable.