La Débâcle – 2988

Et la vie de Maurice vagabonda, oisive, dans une fièvre grandissante. Il ne souffrait plus de la faim, il avait dévoré le premier pain blanc avec délices. Paris, alcoolisé, où n’avait manqué ni l’eau-de-vie ni le vin, vivait grassement à cette heure, tombait à une ivrognerie continue. Mais c’était la prison toujours, les portes gardées par les Allemands, une complication de formalités qui empêchait de sortir. La vie sociale n’avait pas repris, aucun travail, aucune affaire encore ; et il y avait là tout un peuple dans l’attente, ne faisant rien, finissant de se détraquer, au clair soleil du printemps naissant. Pendant le siège, au moins, le service militaire fatiguait les membres, occupait la tête ; tandis que, maintenant, la population avait glissé d’un coup à une vie d’absolue paresse, dans l’isolement où elle demeurait du monde entier. Lui, comme les autres, flânait du matin au soir, respirait l’air vicié par tous les germes de folie qui, depuis des mois, montaient de la foule. La liberté illimitée, dont on jouissait, achevait de tout détruire. Il lisait les journaux, fréquentait les réunions publiques, haussait parfois les épaules aux âneries trop fortes, rentrait quand même le cerveau hanté de violences, prêt aux actes désespérés, pour la défense de ce qu’il croyaitêtre la vérité et la justice. Et, de sa petite chambre, d’où il dominait la ville, il faisait encore des rêves de victoire, il se disait qu’on pouvait sauver la France, sauver la République, tant que la paix ne serait pas signée.