La Débâcle – 2991

Ah ! cette journée du 18 mars, de quelle exaltation décisive elle souleva Maurice ! Plus tard, il ne put se souvenir nettement de ce qu’il avait dit, de ce qu’il avait fait. D’abord, il se revoyait galopant, furieux de la surprise militaire qu’on avait tentée avant le jour, pour désarmer Paris, en reprenant les canons de Montmartre. Depuis deux jours, Thiers, arrivé de Bordeaux, méditait évidemment ce coup de force, afin que l’Assemblée pût sans crainte proclamer la monarchie, à Versailles. Puis, il se revoyait, à Montmartre même, vers neuf heures, enflammé par les récits de victoire qu’on lui faisait, l’arrivée furtive de la troupe, l’heureux retard des attelages qui avait permis aux gardes nationaux de prendre les armes, les soldats n’osant tirer sur les femmes et les enfants, mettant la crosse en l’air, fraternisant avec le peuple. Puis, il se revoyait courant Paris, comprenantdès midi que Paris appartenait à la Commune, sans même qu’il y eût de bataille : Thiers et les ministres en fuite du ministère des Affaires étrangères où ils s’étaient réunis, tout le gouvernement en déroute sur Versailles, les trente mille hommes de troupes emmenés à la hâte, laissant plus de cinq mille des leurs, au travers des rues. Puis, vers cinq heures et demie, à un angle du boulevard extérieur, il se revoyait au milieu d’un groupe de forcenés, écoutant sans indignation le récit abominable du meurtre des généraux Lecomte et Clément Thomas. Ah ! des généraux ! il se rappelait ceux de Sedan, des jouisseurs et des incapables ! un de plus, un de moins, ça n’importait guère ! Et le reste de la journée s’achevait dans la même exaltation, qui déformait pour lui toutes choses, une insurrection que les pavés eux-mêmes semblaient avoir voulue, grandie et d’un coup maîtresse dans la fatalité imprévue de son triomphe, livrant enfin à dix heures du soir l’Hôtel de Ville aux membres du Comité central, étonnés d’y être.