La Débâcle – 3017

Maurice approuva la création d’un Comité de salut public. Des pages d’histoire lui revenaient, l’heure n’avait-elle pas sonné des mesures énergiques, si l’on voulait sauver la patrie ? De toutes les violences, une seule lui avait serré le cœur d’une angoisse secrète, le renversement de la colonne Vendôme ; et il s’accusait de cela comme d’une faiblesse d’enfant, il entendait toujours son grand-père lui raconter Marengo, Austerlitz, Iéna, Eylau, Friedland, Wagram, la Moskowa, des récits épiques dont il frémissait encore. Mais que l’on rasât la maison de Thiers l’assassin, que l’on gardât les otages comme une garantie et une menace, est-ce que cela n’était pas de justes représailles, dans cette rage grandissante de Versailles contre Paris, qu’il bombardait, où les obus crevaient les toits, tuaient des femmes ? Le sombre besoin de destruction montait en lui, à mesure que la finde son rêve approchait. Si l’idée justicière et vengeresse devait être écrasée dans le sang, que s’entrouvrît donc la terre, transformée au milieu d’un de ces bouleversements cosmiques, qui ont renouvelé la vie ! Que Paris s’effondrât, qu’il brûlât comme un immense bûcher d’holocauste, plutôt que d’être rendu à ses vices et à ses misères, à cette vieille société gâtée d’abominable injustice ! Et il faisait un autre grand rêve noir, la ville géante en cendre, plus rien que des tisons fumants sur les deux rives, la plaie guérie par le feu, une catastrophe sans nom, sans exemple, d’où sortirait un peuple nouveau. Aussi s’enfiévrait-il davantage aux récits qui couraient : les quartiers minés, les catacombes bourrées de poudre, tous les monuments prêts à sauter, des fils électriques réunissant les fourneaux pour qu’une seule étincelle les allumât tous d’un coup, des provisions considérables de matières inflammables, surtout du pétrole, de quoi changer les rues et les places en torrents, en mers de flammes. La Commune l’avait juré, si les Versaillais entraient, pas un n’irait au-delà des barricades qui fermaient les carrefours, les pavés s’ouvriraient, les édifices crouleraient, Paris flamberait et engloutirait un monde.