La Débâcle – 3024

Vers cinq heures, comme Maurice et les camarades se repliaient décidément derrière les barricades de la rue du Bac, descendant de porte en porte la rue de Lille, en tirant toujours, il vit tout d’un coup une grosse fumée noire sortir par une fenêtre ouverte du palais de la Légion d’honneur. C’était le premier incendie allumé dans Paris ; et, sous le coup de furieuse démence qui l’emportait, il en eut une joie farouche. L’heure avait sonné, que la ville entière flambât donc comme un bûcher immense, que le feu purifiât le monde ! Mais une apparition brusque l’étonna : cinq ou six hommes venaient de sortir précipitamment du palais, ayant à leur tête un grand gaillard, dans lequel il reconnut Chouteau, son ancien camarade d’escouade du 106e. Il l’avait aperçu déjà avec un képi galonné, après le 18 mars, il le retrouvait monté en grade, ayant des galons partout, attaché à l’état-major de quelque général qui ne se battait pas. Une histoire lui revint, qu’on lui avait contée : ce Chouteau installé au palais de la Légion d’honneur, vivant là en compagnie d’une maîtresse dans une bombance continuelle, s’allongeant avec ses bottes au milieu des grands lits somptueux, cassant les glaces à coups de revolver, pour rire. Même on assurait que sa maîtresse, sous le prétexted’aller faire son marché au Halles, partait chaque matin en voiture de gala, déménageant des ballots de linge volé, des pendules et jusqu’à des meubles. Et Maurice, à le voir courir avec ses hommes, tenant encore à la main un bidon de pétrole, éprouva un malaise, un doute affreux où il sentit vaciller toute sa foi. L’œuvre terrible pouvait donc être mauvaise, qu’un tel homme en était l’ouvrier ?