La Débâcle – 3114

Et il eut surtout de la peine à monter l’escalier de pierre. Puis, en haut, sur le quai, il marcha lentement, au bras de son compagnon, d’un pas de somnambule. Bien que le jour ne se levât pas encore, le reflet des incendies voisins éclairait la vaste place d’une aube livide. Ils en traversèrent la solitude, le cœur serré de cette morne dévastation. Aux deux bouts, de l’autre côté du pont et à l’extrémité de la rue Royale, on distinguait confusément les fantômes du Palais-Bourbon et de la Madeleine, labourés par la canonnade. La terrasse des Tuileries, battue en brèche, s’était en partie écroulée. Sur la place même, des balles avaient troué le bronze des fontaines, le tronc géant de la statue de Lille gisait par terre, coupé en deux par un obus, tandis que la statue de Strasbourg, à côté, voilée de crêpe, semblait porter le deuil de tant de ruines. Et il y avait là, près de l’obélisque intact, dans une tranchée, un tuyau à gaz, fendu par quelque coup de pioche, qu’un hasard avait allumé, et qui lâchait, avec un bruit strident, un long jet de flamme.