La Débâcle – 333

Mais on partait, le capitaine Beaudoin s’était approché d’un air choqué, pendant que le lieutenant Rochas affectait de tourner la tête, indulgent à la soif de ses hommes. Déjà, l’on filait sur la route de Châlons, un interminable ruban, bordé d’arbres, allant d’un trait, tout droit, parmi l’immense plaine, des chaumes à l’infini, que bossuaient çà et là de hautes meules et des moulins de bois, agitant leurs ailes. Plus au nord, des files de poteaux télégraphiques indiquaient d’autres routes, où l’on reconnaissait les lignes sombres d’autres régiments en marche. Beaucoup même coupaient à travers champs, en masses profondes. Une brigade de cavalerie, en avant, sur la gauche, trottait dans un éblouissement de soleil. Et tout l’horizon désert, d’un vide triste et sans borne, s’animait, se peuplait ainsi de ces ruisseaux d’hommes débordant de partout, de ces coulées intarissables de fourmilière géante.