La Débâcle – 334

Vers neuf heures, le 106e quitta la route de Châlons, pour prendre, à gauche, celle de Suippe, un autre ruban tout droit, à l’infini. On marchait par deux files espacées, laissant le milieu de la route libre. Les officiers s’y avançaient à l’aise, seuls ; et Maurice avait remarqué leurair soucieux, qui contrastait avec la belle humeur, la satisfaction gaillarde des soldats, heureux comme des enfants de marcher enfin. Même, l’escouade se trouvant presque en tête, il apercevait de loin le colonel, monsieur de Vineuil, dont l’allure sombre, la grande taille raidie, balancée au pas du cheval, le frappait. On avait relégué la musique à l’arrière, avec les cantines du régiment. Puis, accompagnant la division, venaient les ambulances et le train des équipages, que suivait le convoi du corps tout entier, un immense convoi, des fourragères, des fourgons fermés pour les provisions, des chariots pour les bagages, un défilé de voitures de toutes sortes, qui tenait plus de cinq kilomètres, et dont, aux rares coudes de la route, on apercevait l’interminable queue. Enfin, à l’extrême bout, des troupeaux fermaient la colonne, une débandade de grands bœufs piétinant dans un flot de poussière, la viande encore sur pied, poussée à coups de fouet, d’une peuplade guerrière en migration.