La Débâcle – 339

Mais l’explication courut d’un bout à l’autre de la colonne. C’était le camp de Châlons qui flambait depuis deux jours, incendié par ordre de l’empereur, pour sauver des mains des Prussiens les richesses entassées. La cavalerie d’arrière-garde avait, disait-on, été chargée de mettre le feu à un grand baraquement, appelé le magasin jaune, plein de tentes, de piquets, de nattes, et au magasin neuf, un immense hangar fermé, où s’empilaient des gamelles, des souliers, des couvertures, de quoi équiper cent autres mille hommes. Des meules de fourrage, allumées elles aussi, fumaient comme des torches gigantesques. Et, à ce spectacle, devant ces tourbillonslivides qui débordaient des collines lointaines, emplissant le ciel d’un irréparable deuil, l’armée, en marche par la grande plaine triste, était tombée dans un lourd silence. Sous le soleil, on n’entendait plus que la cadence des pas, tandis que les têtes, malgré elles, se tournaient toujours vers les fumées grossissantes, dont la nuée de désastre sembla suivre la colonne pendant toute une lieue encore.