La Débâcle – 488

Cependant, au centre de la petite place triangulaire, près du puits, il demeurait immobile, étourdi, la mémoire vide. Où donc allait-il ? Brusquement, il se souvint que c’était chez le notaire, dont la maison touchait celle où il avait grandi, et dont la mère, la très vieille et très bonne madame Desroches, à titre de voisine, le gâtait, lorsqu’il était enfant. Mais il reconnaissait à peine le Chêne, au milieu de l’extraordinaire agitation que causait, dans cette petite ville morte d’habitude, la présence d’un corps d’armée, campé aux portes, emplissant les rues d’officiers, d’estafettes, de gens à la suite, de rôdeurs et de traînards de toute espèce. Il retrouvait bien le canal traversant la ville de bout en bout, coupant la place centrale, dont l’étroit pont de pierre réunissait les deux triangles ; et c’était toujours bien, là-bas, sur l’autre rive, le marché avec sa toiture moussue, la rue Berond qui s’enfonçait à gauche, la route de Sedan qui filait à droite. Seulement, du côté où il était, il lui fallait lever les yeux, reconnaître le clocher ardoisé, au-dessus de la maison du notaire, pour être certain que c’était là le coin désert où ilavait joué à la marelle, tellement la rue de Vouziers, en face de lui, jusqu’à l’hôtel de ville, bourdonnait d’un flot compact de foule. Sur la place, il semblait qu’on faisait le vide, que des hommes écartaient les curieux. Et là, occupant un large espace, derrière le puits, il fut étonné d’apercevoir comme un parc de voitures, de fourgons, de chariots, tout un campement de bagages qu’il avait certainement vus déjà.