La Débâcle – 496

Ah ! mon cher garçon, si vous saviez ce qu’on a tiré de là-dedans, et de la vaisselle d’argent, et des bouteilles de vin, et des paniers de provisions et du beau linge, et de tout ! Pendant deux heures, ça n’a pas arrêté. Je me demande où ils ont pu fourrer tant de choses, car la maison n’est pas grande… Regardez, regardez ! en ont-ils allumé, un feu, dans la cuisine ! Il regardait la petite maison blanche, à deux étages, qui faisait l’angle de la place et de la rue de Vouziers, une maison d’aspect bourgeois et calme, dont il évoquait l’intérieur, l’allée centrale en bas, les quatre pièces de chaque étage, comme s’il y était entré la veille encore. En haut, vers l’angle, la fenêtre du premier, ouvrant sur la place, se trouvait éclairée déjà ; et la femme du pharmacien lui expliquait que cette chambre était celle de l’empereur. Mais, comme elle l’avait dit, ce qui flambait surtout, c’était la cuisine, dont la fenêtre, au rez-de-chaussée, donnait sur la rue de Vouziers. Jamais les habitants du Chêne n’avaient eu un pareil spectacle. Un flot de curieux, sans cesse renouvelé, barrait la rue, béant devant cette fournaise, où rôtissait et bouillait le dîner d’un empereur. Pour avoir un peu d’air, les cuisiniers avaient ouvert les vitres toutes grandes. Ils étaient trois, en vestes blanches éblouissantes, s’agitant devant des poulets enfilés dans une immense broche, remuant des sauces au fond d’énormes casseroles, dont le cuivre luisait comme de l’or. Et les vieillards ne sesouvenaient pas d’avoir vu, au Lion d’Argent, même pour les plus grandes noces, autant de feu brûlant et autant de nourriture cuisant à la fois.