La Débâcle – 530

Alors, parmi les soldats, il y eut un véritable désespoir. Beaucoup voulaient s’asseoir sur leurs sacs, dans la boue de ce plateau détrempé, et attendre la mort, sous la pluie. Ils ricanaient, ils insultaient les chefs : ah ! de fameux chefs, sans cervelle, défaisant le soir ce qu’ils avaient fait le matin, flânant quand l’ennemi n’était pas là, filant dès qu’il apparaissait ! Une démoralisation dernière achevait de faire de cette armée un troupeau sans foi, sans discipline, qu’on menait à la boucherie, par les hasards de la route. Là-bas, vers Vouziers, une fusillade venait d’éclater, des coups de feu échangés entre l’arrière-garde du 7e corps et l’avant-garde des troupes allemandes ; et, depuis un instant, tous les regards se tournaient vers la vallée de l’Aisne, où, dans une éclaircie du ciel, montaient les tourbillons d’une épaisse fumée noire : on sut que c’était le village de Falaise qui brûlait, incendié par les uhlans. Une rage s’emparait des hommes. Quoi donc ? les Prussiens étaient là, maintenant ! On les avait attendus deux jours, pour leur donner le temps d’arriver. Puis, on décampait. Obscurément, au fond des plus bornés, montait la colère de l’irréparable faute commise, cette attente imbécile, ce piège dans lequel on était tombé : les éclaireurs de la IVe armée amusant la brigade Bordas, arrêtant, immobilisant un à un tous les corps de l’armée de Châlons, pour permettre au prince royal de Prusse d’accourir avec la IIIe armée. Et, à cette heure, grâce à l’ignorance du maréchal, qui ne savait encore quelles troupes il avait devant lui, la jonction sefaisait, le 7e corps et le 5e allaient être harcelés, sous la continuelle menace d’un désastre.