La Débâcle – 670

Comme l’arrière-garde quittait Raucourt, les Allemands, à l’autre bout, y entraient ; et deux de leurs batteries, tout de suite installées, à gauche, sur les hauteurs, tirèrent. A ce moment, le 106e, filant par la route qui descend, le long de l’Emmane, se trouvait dans la ligne du tir. Un obus coupa un peuplier, au bord de la rivière ; un autre s’enterra dans un pré, à côté du capitaine Beaudoin, sans éclater. Mais le défilé, jusqu’à Haraucourt, allait en se rétrécissant, et l’on s’enfonçait là, dans un couloir étroit, dominé des deux côtés par des crêtes couvertes d’arbres : si une poignée de Prussiens s’était embusquée en haut, un désastre était certain. Canonnées en queue, ayant à droite et à gauche lamenace d’une attaque possible, les troupes n’avançaient plus que dans une anxiété croissante, ayant la hâte de sortir de ce passage dangereux. Aussi une flambée dernière d’énergie était-elle revenue aux plus las. Les soldats qui, tout à l’heure, se traînaient dans Raucourt, de porte en porte, allongeaient maintenant le pas, gaillards, ranimés, sous l’éperon cuisant du péril. Il semblait que les chevaux eux-mêmes eussent conscience qu’une minute perdue pouvait être payée chèrement. Et la tête de la colonne devait être à Remilly, lorsque, tout d’un coup, il y eut un arrêt dans la marche.