La Débâcle – 690

Cependant, le 106e se trouvait installé, au-dessus de la route, dans un chaume qui dominait la vaste plaine. C’était à regret que les hommes avaient lâché leurs fusils, jetant des regards en arrière, hantés de la crainte d’une attaque. Tous, le visage dur et fermé, se taisaient, ne grognaient par instants que de sourdes paroles de colère. Neuf heures allaient sonner, il y avait deux heures qu’on était là ; et beaucoup, malgré l’atroce fatigue, ne pouvaient dormir, allongés par terre, tressaillant, prêtant l’oreille aux moindres bruits lointains. Ils ne luttaient plus contre la faim qui les dévorait : on mangerait là-bas, de l’autre côté de l’eau, et l’on mangerait de l’herbe, si l’on netrouvait pas autre chose. Mais l’encombrement ne semblait que s’accroître, les officiers que le général Douay avait postés près du pont revenaient de vingt minutes en vingt minutes, avec la même et irritante nouvelle que des heures, des heures encore seraient nécessaires.