La Débâcle – 855

Jean, effaré, se trouva sur le viaduc de Torcy, au-dessus des vastes prairies, que le gouverneur avait fait inonder des eaux du fleuve. Puis, après avoir franchi une nouvelle porte, il traversa le pont de Meuse, et il lui sembla, malgré l’aube grandissante, que la nuit revenait, dans cette ville étroite, étranglée entre ses remparts, aux rues humides, bordées de maisons hautes. Il ne se rappelait même pas le nom du beau-frère de Maurice, il savait seulement que sa sœur s’appelait Henriette. Où aller ? qui demander ? Ses pieds ne le portaient plus que par le mouvement mécanique de la marche, il sentait qu’il tomberait, s’il s’arrêtait. Comme un homme qui se noie, il n’entendait que le bourdonnement sourd, il ne distinguait que le ruissellement continu du flot d’hommes et de bêtesdans lequel il était charrié. Ayant mangé à Remilly, il souffrait surtout du besoin de sommeil ; et, autour de lui, la fatigue aussi l’emportait sur la faim, le troupeau d’ombres trébuchait, par les rues inconnues. A chaque pas, un homme s’affaissait sur un trottoir, culbutait sous une porte, restait là comme mort, endormi.