La Débâcle – 875

Le matin, Delaherche, en apprenant que l’armée allait passer à Mouzon, avait fait avec Weiss, son comptable, cette promenade en cabriolet, dont le père Fouchard avait parlé à Maurice. Gros et grand, le teint coloré, le nez fort et les lèvres épaisses, il était de tempérament expansif, il avait la curiosité gaie du bourgeois français qui aime les beaux défilés de troupes. Ayant su par le pharmacien de Mouzon que l’empereur se trouvait à la ferme de Baybel, il y était monté, l’avait vu, avait même failli causer avec lui, toute une histoire énorme, dont il ne tarissait pas depuis son retour. Mais quel terrible retour, à travers la panique de Beaumont, par les chemins encombrés de fuyards ! Vingt fois, le cabriolet avait failli culbuter dans les fossés. Les deux hommes n’étaient rentrés qu’à la nuit, au milieu d’obstacles sans cesse renaissants. Et cette partie de plaisir, cette armée que Delaherche était allévoir défiler, à deux lieues, et qui le ramenait violemment dans le galop de sa retraite, toute cette aventure imprévue et tragique lui avait fait répéter, à dix reprises, le long de la route :