La Débâcle – 991

Depuis qu’il avait failli lui parler, à la ferme de Baybel, il ne se préoccupait que de Napoléon III ; et il finit par entraîner les deux soldats eux-mêmes. Quelques groupes seulement stationnaient, en chuchotant, sur la place de la sous-préfecture ; tandis que, de temps à autre, des officiers se précipitaient, effarés. Une ombre mélancolique décolorait déjà les arbres, on entendait le gros bruit de la Meuse, coulant à droite, au pied des maisons. Et, dans la foule, on racontait comment l’empereur, qui s’était décidé avec peine à quitterCarignan, la veille, vers onze heures du soir, avait absolument refusé de pousser jusqu’à Mézières, pour rester au danger et ne pas démoraliser les troupes. D’autres disaient qu’il n’était plus là, qu’il avait fui, laissant, en guise de mannequin, un de ses lieutenants, vêtu de son uniforme, et dont une ressemblance frappante abusait l’armée. D’autres donnaient leur parole d’honneur qu’ils avaient vu entrer, dans le jardin de la sous-préfecture, des voitures chargées du trésor impérial, cent millions en or, en pièces de vingt francs neuves. Ce n’était, à la vérité, que le matériel de la maison de l’empereur, le char à bancs, les deux calèches, les douze fourgons, dont le passage avait révolutionné les villages, Courcelles, le Chêne, Raucourt, grandissant dans les imaginations, devenant une queue immense dont l’encombrement arrêtait l’armée, et qui venait enfin d’échouer là, maudits et honteux, cachés à tous les regards derrière les lilas du sous-préfet.